− Tu en veux une bonne ? « Soupirer, c’est juif, comme siffler, c’est goy. »
− Je ne trouve pas ça drôle.
− Moi, je pisse de rire ! C’est signé Arnold Mandel [1913-1987], je l’ai trouvé dans Mots d’esprit de l’humour juif de Victor Malka [éditions du Seuil, collection « Points Sagesses »], p.126.
− Dès que les juifs parlent des goys, c’est pas drôle.
− Et dès que les goys parlent des juifs, c’est pas drôle non plus, crois-moi !
− Vraiment ? Même la dernière que j'ai entendue : « Le bonheur, c’est goy, comme le destin, c’est juif. » ?
− Vraiment pas drôle...
− Moi, j'adore, comme tous les goys de stricte observance, garanti... Je te propose un compromis. Toutes les blagues où n’apparaît pas le mot juif forment le corpus de l’Anthologie de l’humour goy. Et inversement.
− Chiche !

 

 

On me dit que des juifs se sont glissés dans la salle ? Vous pouvez rester. N’empêche qu’on ne m’ôtera pas de l’idée que, pendant la dernière guerre mondiale, de nombreux juifs ont eu une attitude carrément hostile à l’égard du régime nazi. Il est vrai que les allemands, de leur côté, ne cachaient mal une certaine antipathie à l’égard des juifs. Mais enfin, ce n’était pas une raison pour exacerber cette antipathie en arborant une étoile à sa veste pour bien montrer qu’on n’est pas n’importe qui, qu’on est le peuple élu. « Et pourquoi j’irais pointer au vélodrome d’hiver ? » « Et qu’est-ce que c’est que ce wagon sans banquette ? » « Et j’irai aux douches si je veux… » Quelle suffisance ! Attention, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Je n’ai rien contre ces gens-là. Bien au contraire. Je suis fier d’être citoyen de ce grand pays de France où les juifs courent toujours. Je me méfie des rumeurs. Vous savez, quand on me dit que si les juifs allaient en si grand nombre à Auschwitz, c’est parce que c’était gratuit, je pouffe. Et puis attention, il y a juif et juif. Oui, il y a deux sortes de juifs : il y a le juif assimilé et il y a le juif-juif. Et c’est pas du tout pareil. Le juif assimilé si vous voulez c’est… C’est n’importe quoi alors ! Vraiment c’est le genre de mec : Il regarde l’Holocauste les pieds sur la table en bouffant du cochon pas kacher. Il est infoutu de reconnaître le mur de Berlin du mur des lamentations. Ah non, quand il voit un mur, il joue au squash. Ces gens-là sont la honte des synagogues. En plus, ils n’auront même pas la chance d’être reconnus par les nazis lors de la prochaine. Le juif-juif, lui c’est complètement différent : Le juif-juif se sent, comment dire ? Il se sent plus juif que fourreur. Vous voyez ? C’est dingue ! C’est fou ! Il renâcle à l’idée de se mélanger aux gens du peuple non élu. En dehors des heures d’ouverture de son magasin bien sûr. Dès son plus jeune âge, il recherche la compagnie des autres juifs. Et c’est pas toujours facile.


C’est vrai, naguère encore, les juifs avaient les lobes des oreilles pendants, les doigts et le nez crochu, et la bitte à col roulé. Mais maintenant, depuis que le port de l’étoile est tombé en désuétude, on sait pas pourquoi, c’est pas évident de distinguer du premier coup d’oeil un petit enfant juif d’un petit enfant antisémite. Vous comprenez, maintenant, ces gens-là, les juifs, ils se font raboter le pif et raccourcir le nom. Alors on les reconnait plus. Non mais c’est vrai, regardez Jean-Marie Le Penovitchtein, on dirait un breton. Vous savez que tous les praticiens de la chirurgie esthétique sont juifs. Tous les médecins sont juifs. Sinon t’as pas le diplôme. Tous les pharmaciens sont juifs. Tous les archevêques de Paris sont juifs. Tout le monde sont juifs. En tout cas, pour ce qui est des médecins, je suis absolument formel. Tous les médecins sont juifs. Enfin le docteur Petiot, je suis pas sûr… Vous savez pas qui était le docteur Petiot ? Mais elle est bête ! C’est pas grave, c’est pas vraiment une gloire nationale. Le docteur Petiot, comment vous dire ? En un mot ? Je veux dire, bon… Le docteur Petiot, si vous voulez, c’est ce médecin parisien qui a démontré en 1944 que les juifs étaient solubles dans l’acide sulfurique. En gros hein. Je schématise. Et ben le docteur Petiot n’était pas juif. Alors que le docteur Schwartzenberg, si. Cela dit, il n’y a aucun rapport entre Petiot et Schwartzenberg. Je sais même pas pourquoi je fais le rapprochement. Non ! Je veux dire que Schwartzenberg, lui, il fait pas exprès de tuer les gens. Non. Voilà encore un bruit idiot qui court. Quand on dit que les juifs sont vecteurs de maladie, c’est pas vrai : regardez Schwartzenberg, est-ce qu’il est cancérigène ? Non. Comme le disait mon copain Le Luron, il suffit de ne pas trop s’approcher.


Les juifs-juifs ne se marient qu’entre eux, bien sûr. À ce propos, je relisais récemment un livre d’Harris et Sédouy qui est paru chez Grasset il y a, je sais plus, 5 ou 6 ans, qui s’appelait « Juifs et Français », dans lequel les auteurs demandaient à une grande journaliste de télévison, pleine de talent, très belle en plus. Non pas Ockrent, une journaliste. Quelqu’un qui écrit des articles, qui fait des reportages. Non, j’aime beaucoup Christine Ockrent, mais c’est pas ce qu’on appelle une… Elle est plutôt mannequin télé 7 jour que journaliste si vous voulez. Non mais c’est bien, c’est un métier hein ! Ecoutez, c’est vrai la pauvre. Un jour elle pause avec sa mère, trois semaines après avec son grand père, après ça, elle a posé sur deux pages avec son bébé. C’est incroyable. Je suis sûr qu’elle aurait fait une fausse couche elle aurait posé à côté du placenta. Non là je fais allusion, à Harris et Sédouy qui interviewaient une grande journaliste de télévision française, très belle, je répète, mais dont je tairai l’identité par pure discrétion, vous pouvez le comprendre. Et bien les auteurs lui demandaient à cette jeune femme si elle aurait épousé Yvan Levaï pour le cas où il n’aurait pas été juif comme elle. Et bien voyez-vous, cette jeune femme a répondu que non, qu’elle n’aurait probablement pas pu tomber amoureuse d’un non-juif. Je comprends aisément cette attitude qu’on pourrait un peu hâtivement taxer de racisme. Moi-même, qui suis limousin, j’ai complètement raté mon couple parce que j’ai épousé une non-Limousine. Une Vendéenne. Les Vendéens ne sont pas des gens comme nous. D’accord, ils ont des petits doigts, des petits lobes, mais je sais pas… nos patois ne sont pas les mêmes. Et puis, nos coutumes divergent, et dix verges c’est énorme ! Voilà une femme qui mange du poisson le vendredi alors que moi je mange du boeuf mironton le jeudi. Il n’y apas de compréhension possible. Nous avons notre sensibilité limousine. Nous avons notre humour limousin, qui n’appartient qu’à nous. Nous partageons entre nous une certaine angoisse de la porcelaine, peu perméable aux Chouans. Il faut avoir souffert à Limoges pour comprendre
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Pierre Desproges, Théâtre Grévin, 1986

 

 

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