Mourir en beauté, c'est beau.
Jean Genet

Et je serai loin, bien loin, et plus bon à rien,
Par la Culture, heureux comme après une femme.

Arthur Rimbaud (corrigé)
À la mémoire de Cabu et de Renaud

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Pour une fois, le Collectif MANIFESTEMENT eût pu s'en remettre les yeux fermés
à un texte tout fait et épuisant délicieusement son propos
ou
aux saillies d'un humoriste hors pair
et se contenter d'en tirer deux, trois slogans à peinturlurer distraitement fin décembre sur des banderoles recyclées en vue de la manifestation du 22 janvier 2017...

... mais le chômage technique s'acoquine mal avec les machines conceptuellement désirantes qui sont aux commandes des membres peu écervelés du Collectif MANIFESTEMENT.

 

On ne va donc ni mégoter, ni lésiner, ni chicaner :
tous aux abris mentaux !


1
Le durable est la version écologique de la bonne vieille Vie éternelle. Un subterfuge laïque pour ignorer le non-renouvelable, dénier le non-recyclable, contourner la mort. La folie de la foi revient toujours au même manque d’imagination entretenu par la peur de rêver : pousser la lâcheté jusqu’à vouloir endurer ce qui n’a que trop duré.

2

Originairement, le « naturel » désigne l’ordre des choses et le « contre-nature » renvoie la nature à ce qui distingue en elle le bien du mal. Or cette distinction est ultimement théologique. Donc, persister à utiliser le mot naturel est le meilleur moyen de s’empêcher de penser en préférant croire.

3
De l’écologie ambiante, bien-pensante et obligatoire, la manifestation « Pour en finir avec la planète… en beauté ! » veut dénoncer la théologie (le naturel est le bien), moquer la téléologie (il y a un cap et c’est le bon), railler l'eschatologie (l'homme est le moyen de la fin des temps), pourfendre le moralisme (polluer est un péché), déminer la conscience mauvaise (les catastrophes ne sont que catastrophiques) et pointer l’ineptie (la nature ne préexiste pas au mot nature).

4
Un changement de paradigme n’est cauchemardesque qu’aux yeux des conservateurs de tous bords, ceux-là mêmes qui ne jurent que par « le changement », qui se veulent les moteurs du « changement », sans jamais en accepter la prémisse : que plus rien du tout ne soit comme avant.

5
Les changements cosmétiques ne sont pas plus louables, dignes ou préférables que les changements radicaux : tous les goûts sont dans la culture. Sauf à sacrifier à un leibnizisme inavouable, comme quoi le monde tristement actuel et officiellement détestable n’en serait pas moins, par ailleurs, le meilleur des mondes possibles.

6
La fin de l’existence de l’homme n’est problématique qu’à l’esprit fragile des naïfs arrogants qui se croient à l’image de Dieu. Pour les autres, cette fin est une énième anecdote qui n’est pas sans stimuler une philosophique curiosité : la prochaine sera-t-elle plus ou moins croustillante, croquignolette et craquante que la précédente ?

7
Il n’est aucune base − autre que romantique, autant dire abyssale, illusoire et vaine − pour opposer, d’un côté, l’ingestion d’un bon spaghetti débouchant immanquablement sur la production d’un étron plus ou moins consistant et, de l’autre, le raffinage du pétrole permettant la production, entre autres, de sacs de course en plastique, avouons-le, bien pratiques.

8
Pourquoi un serial-killer pédophile, bedonnant et qui touche les allocations d’invalidité de sa défunte mère depuis 11 mois serait-il moins « la vie » qu’un chouette père de famille, fidèle, sportif et qui rembourse sans mollir depuis 18 ans et demi un prêt hypothécaire à taux variable ? La vie est bonne, ou elle n’est pas (la vie).

9
L’activité humaine dérégulerait l’homéostasie (l’autorégulation de la planète et de la vie). Nous serions en plein anthropocène (l’influence de l’homme sur la biosphère en fait une force géologique capable de marquer la lithosphère). Et alors ? Comment être nostalgique d’un passé qui ne l’est pas encore ?

10
La manifestation « Pour en finir avec la planète…en beauté ! » n’est pas anti-écologique, ni même a-écologique, mais magnifiquement post-écologique : puisque la vie pollue, la préservation de la vie −  fût-elle la vie de la planète (ou, au passage, celle de l’espèce humaine) – ne peut en toute logique être une fin en soi. La mort de la vie est encore de la vie. C’est la fin de la mort qui serait catastrophique.

11
L’impératif de la protection de la nature, de la préservation de l’environnement et du sauvetage de la planète en appelle tôt ou tard à « l’avenir de nos enfants ». Ah le « je », le « je », toujours recommencé, toujours poursuivi, toujours en voie désespérée d’immortalisation ! Et si « nos enfants » ne nous avaient rien demandé, même pas de naître, de nous continuer, de nous ressembler ? Poser la question, c'est, à la suite de Frank Zappa, y répondre.

12
À voir la joie des enfants jouant avec des diplodocus en peluche et des tyrannosaures en plastique, comment décider de priver leurs lointains descendants-mutants de s’éclater avec des figurines humaines ?

13
La bien-nommée Terre Mère, rassurante et utérine, donc castratrice et hystérique : pourquoi pas ? Mais le vulvocratisme écologique n’est que le vis-à-vis du phallocratisme industriel, jamais son dépassement. D’une outrance l’autre.

14
Le vert est l’allégorie de l’écologie en Occident, là où cette couleur n’est dominante que 6 mois par an. Qu’est-ce à dire ? Que le printemps l’emporte sur l’automne dans l’imagerie folklorique délirante des bigots inconséquents de la sainte « nature ». Qu’on n’est pas sorti de la suprématie du « propre » sur le « sale ». De la supériorité du « juvénile » sur le « croulant ». Du « virginal » sur le « pollué ». De l’auberge primitive qui divinisait le soleil à la sortie de la caverne. Qu’on n’est pas sorti du sacré.

15
Paraphrasant la lecture deleuzienne de la lecture nietzschéenne de la dialectique hégélienne du maître et de l’esclave, l’écolo disant « C’est bon, car c’est naturel » est le nouvel esclave : il ne peut affirmer sans nier (car déclarer d’une chose qu’elle est naturelle, c’est déjà nier à une autre qu’elle le soit). Le vrai maître est celui qui dit « Tout est naturel ! ».

15bis
Tout est légal !

15ter
Tout est bon dans le goudron. Tout est excellent.

 

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