Qu’est-ce que cet Acte Général de Berlin a de signifiant ? Selon le livre de Herman Kermans (Esquisses d’histoire congolaise), il constitue le premier code international du droit africain et il règle comme tel les modalités de l’occupation des territoires, les droits et les obligations des occupants. L’O.P.A. de Léopold II sur le « Royaume des Morts » trouve ici sa source. Ce sont les mêmes fins qui sont poursuivies. En voici trois extraits : 1) la liberté de commerce et de navigation dans le bassin conventionnel du Congo et dans celui du Niger ; 2) la neutralité de ces territoires en cas de guerre ; 3) l’obligation d’améliorer les conditions morales et matérielles des indigènes. Pourquoi Léopold II ne réussirait-il pas ces trois objectifs civilisateurs au Ciel ? Sur Terre, ils ont été atteints au Congo et à travers lui en Terra Incognita. Comment cela pourrait-il se matérialiser concrètement au Ciel ? 1) En installant la liberté de commerce et de navigation entre Paradis, Purgatoire et l’Enfer, comme c’est le cas dans le bassin conventionnel du Congo, et dans celui du Niger ; 2) en confirmant en cas de guerre, entre occupants bien sûr, la neutralité de ces trois territoires ; 3) en imposant l’obligation de combattre la traite des esclaves, en un mot l’ardente obligation de combattre Dieu et ses cinq pairs, Dieu le Père, Dieu le Fils, Dieu le Sain d’Esprit, Dieu Lucifer et Dieu Thanatos, puisqu’ils sont les seuls à pouvoir être des esclavagistes.
Qu’est-ce que cet Acte Général de Berlin a de significatif ? Avant l’avènement du premier code international du droit africain rédigé en Europe, à Berlin, par les Blancs, la Terra Incognita d’Afrique ne disposait d’aucun code international, en conséquence d’aucune loi. La première naît donc de la bonne volonté des vainqueurs. Cette bonne volonté est si totalitaire que les indigènes sont déclarés incapables, mineurs d’âge. À leurs places, c’est lui le Blanc, l’autre, l’étranger, le vainqueur, l’envahisseur … qui doit parler et signer. Le « Moi » dans l’Acte ou le procès de communication ne représente plus un seul acteur : l’émetteur. Il est le récepteur dans le même temps. Quand l’ego et l’écho se confondent, une rencontre est-elle possible ? Non. Le dialogue est-il possible ? Non. Qu’est-ce qui est possible ? Le monologue et son frère de gauche, la solitude, comme son frère de droite, l’ignorance. Qu’y a-t-il toujours eu entre la Belgique et le Congo, Léopold II et Lumumba, les Belges et les Congolais, les Blancs et les Noirs, de 1885, à nos jours ? Un double monologue, une double solitude et une double ignorance.
Le dernier conflit entre la Belgique et le Congo l’atteste. Elle est due aux mots blessants proférés par Karel de Gucht, ministre belge et blanc des Affaires étrangères. La Belgique peut-elle se permettre ce luxe propre aux donneurs de leçon que sont la France, l’Angleterre, la Russie, les U.S.A. et l’Allemagne, à combien d’États ? Un seul : son Congo. Si ce dernier était devenu le 2 mai 1885 ou le 30 juin 1960 un État, il ne se serait pas permis ce langage. Son propre gouvernement l’aurait rappelé à l’ordre. L’analyse de gauche d’un coopérant belge au Zaïre, Guy de Boeck, auteur des Héritiers de Léopold II ou l’anticolonialisme impossible, proférée dans le Télé Moustique du samedi 15 au dimanche 21 novembre 2008 justifie cette thèse. Que dit-il ? Qu’entre l’État indépendant du Congo et le Congo belge, il faudrait voir plutôt la continuité que la rupture, et que le Congo d’après 1960 serait plus néocolonial que véritablement indépendant.
Ce conflit a duré plus de huit mois. Pour répondre à cette attaque diplomatique, politique et politicienne déclenchée contre elle par la Belgique, le Congo a rappelé son ambassadeur et fermé son consulat à Anvers. En prenant cette décision, est-ce que sa culture diplomatique, politique et politicienne lui a-t-elle fait lire préalablement la comédie en trois actes et en prose Les affaires sont les affaires, de l’écrivain français Octave Mirbeau, représentée avec un énorme succès pour la première fois à la Comédie-Française le 20 avril 1903 ? Non. L’État Congo aurait su où ses intérêts supérieurs, financiers, se situaient. Anvers est le deuxième port d'Europe (après Rotterdam) et le quinzième du monde. Il est aussi bien connu comme centre mondial du diamant. 80 % de la production mondiale s’y négocie. Près de 1500 compagnies y résident. Le Congo est un des grands producteurs de diamant. Comment peut-il sur le plan stratégique, en termes d’intelligence, cesser d’avoir un œil sur un lieu aussi important pour ses recettes, en devises étrangères ?
Bruxelles n’est pas la capitale de l’État fédéral Belgique. Cette lecture sur le plan militaire, la seule valable pour prendre des décisions politiques, est erronée. C’est le siège de l’U.E. (27 États membres), le siège de l’Organisation de l’Atlantique Nord (27 États membres), le siège du Secrétariat Général des 79 États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique associés à l’U.E. dans le cadre des accords de Lomé, soit au total 132 États. New York, le siège des Nations Unies, en compte 192. Prendre la décision de quitter une telle capitale ne peut se comparer sur le plan tactique qu’à l’étrange attitude d’un espion qui, devant une offre d’achat d’informations sensibles, ignorerait la date, le lieu et l’heure de rendez-vous fixés par l’informateur. Le jour où son pays sera envahi, la faute reviendrait-elle à qui, à l’occupant ou à lui-même ? Cette situation a toujours été celle de la Belgique. Le Congo en a hérité et en fait usage, depuis 1885, soit 124 ans en 2009.