Manifeste
du retour au bercail
ou
« Pour le rattachement de la Belgique au Congo ! »
un exercice intime de désenvoûtement réciproque
en 17 questions-réponses
Bercail. n.m., du latin berbex, « brebis » : bétail, bergerie, puis foyer.
Si le Congo est la mère patrie et la Belgique, l’enfant prodigue, qui est le père fouettard ? L’ironie du sort, évidemment ! |
1. Pourquoi rattacher la Belgique au Congo ?
Parce que l’intensification des tensions communautaires en Belgique a subi un coup d’accélérateur à l’époque de la décolonisation : troublante coïncidence !
Parce que, pour éviter l’implosion de ces deux pays aux destins indissociablement liés, aux points communs innombrables et aux problèmes internes (et notamment linguistiques) inextricables, tout aura bientôt été essayé… sauf le rattachement de la Belgique au Congo !
Parce que la Belgique n’a jamais été indépendante du Congo. Et cette reconnaissance est l’occasion d’une renaissance, de tourner la page sans la déchirer… qui se déchire déjà dans un cri muet d’impuissance.
Parce que le Congo, mère de la Belgique, offre aussi la tétée à l’UE et aux USA, au sein desquels la Belgique se nourrit goulûment, tant et si bien que la Belgique est la fille des enfants de sa mère congolaise… et quand l’inceste est consommé depuis belle lurette, il n’est plus temps de faire les mijaurées identitaires !
Mais entendons-nous bien. Un rattachement n’est pas une fusion, un jumelage ou une réunification entre partenaires négociant sur un pied d’égalité. On n’organise pas d’émouvantes retrouvailles, ne s’attend à aucune scène d’effusions, n’espère pas même le début d’une réconciliation. Le rattachement consacre une relation déséquilibrée, asymétrique, presque à sens unique, puisqu’il s’agit, en l’occurrence, d’une annexion subie (du point de vue congolais) et d’un envahissement volontaire (du point de vue belge).
D’ailleurs, rien n’est jamais réciproque. Ici, tout est exorcisme.
2. Quel intérêt la Belgique aurait-elle à se rattacher au Congo ?
Deux exemples parmi beaucoup d’autres.
En tant que première langue du nouveau pays, le lingala deviendra la langue de communication naturelle entre néerlandophones et francophones de l’ancienne Belgique. Le problème de l’intégration des étrangers ou des Belges d’origine étrangère se dissoudra dans le problème de l’intégration des Congolais d’origine belge. Toute l’ancienne Belgique sera promue TOMAF (« Territoire d’outre-mer à facilités »).
Le Rattachement de la Belgique au Congo fera des Belges des immigrés. Il n’y aura donc plus que des immigrés dans l’actuelle Belgique. On ne pourra les distinguer des autres, le concept d’« immigré de souche » étant impensable. Et si nous sommes tous des immigrés, la question de l’intégration ne se pose plus. Conclusion : le Rattachement de la Belgique au Congo, c’est la Révolution…sans une tache de sang !
Les possibilités de synergies économiques et sociales ne sont pas moins nombreuses.
3. Les Congolais pourraient voir les choses d’un autre œil, non ?
La manifestation ne présume pas de leur enthousiasme. Vont-il ravaler la Belgique toute crue, faire la fine bouche ou opposer une fin de non-recevoir ? On espère secrètement une contre-manifestation… mais on ne poussera pas le vice jusqu’à l’organiser nous-mêmes !
4. Pourquoi renverser l’Histoire ?
Rien de tel que de renverser la tête de l’Histoire pour voir où elle a mis et mettra sans doute les pieds.
Imaginer que la Belgique est une ancienne colonie du Congo, qu’elle s’en est émancipée le 21 mai 1960 et qu’elle descend dans la rue le 21 janvier 2007 afin de s’y rattacher, permet de revisiter l’Histoire autrement. Par exemple, en donnant la parole aux Congolais qui ne voulaient pas de l’Indépendance et aux Belges que la colonisation révoltait, ou en ressortant les photos, les textes, les images de l’époque pour les voir avec des lunettes déformées, délirantes, renversées : la pirouette peut s’avérer éclairante.
Il s’agit moins de « se mettre dans la peau de l’autre » que de changer sa propre peau : un exercice de politique fiction permet d’éviter bien de stériles frictions !
Et certaines choses peuvent être dites plus facilement dans le cadre du Rattachement de la Belgique au Congo quand dans celui du Ministère de la Coopération : les jeux (d’inversion) de rôles sont toujours instructifs.
5. Pourquoi aujourd’hui, alors que les tensions internes sont maximales ?
Parce qu’il n’y a pas de bon moment pour un projet utopique. Tout ce qui est absurde, dérisoire et vain ne peut souffrir d’attendre. Un désir non pressant est mou, flasque, vague.
Parce qu’il n’est jamais trop tôt pour briser les tabous de l’Histoire des relations belgo-congolaises, faire grincer les dents de la mémoire,
Parce que le rattachement est déjà en cours : on ne compte plus les prêtres congolais officiant en Wallonie et à Bruxelles (les missionnaires ont toujours été les pionniers des annexions territoriales), le quartier Matongé grignote chaque jour un peu plus Bruxelles, et il se dit que Immo Congo va racheter Immo Belgo…
6. Pourquoi jouer avec les mots, les morts, les dissensions, les rancœurs, les bons souvenirs?
Parce que les règles du jeu sont bien définies par ailleurs. Et, depuis que l’homme est politique, le jeu est l’enfance de l’art de remettre le compteur des pouvoirs à zéro, la dictature des rôles à plus tard et les images toutes faites à leur place.
Parce qu’un jeu avoué est à moitié sérieux et à moitié très sérieux.
Parce que jouer est thérapeutique, et que la réalité, qu’elle soit congolaise ou belge, a de quoi rendre malade.
7. Qui êtes-vous et qui voulez-vous que nous soyons ?
Nous sommes ce que nous croyons que vous êtes… Non, sérieusement, on est comme est, il y a pas mal d’artistes à la base mais il ne faut pas tous les piquer, les autres non plus d’ailleurs, même si ça ferait du bien à certains. Bref, tout le monde est bienvenu, le travail ne manque pas, et on accepte, encourage voire reprend toute initiative, sans distinction de race, d’origine ou de chapelle, pourvu qu’elle soit bonne (l’initiative!). Et il n’y a jamais trop de bonnes idées.
8. La manifestation n’est-elle pas suspecte d’exotisme post-néo-colonialiste sous couvert de performance pour artistes contemporains ?
Tout sera mis en œuvre d’art pour ne pas tomber trop lourdement dans l’inévitable panneau…mais la vigilance a ses limites que la raison connaît bien depuis que la mauvaise conscience est humaine, c’est-à-dire depuis que la conscience humaine est malheureuse.
9. Pourquoi une manifestation et non un mouvement, un parti politique, une internationale ou… une bombe à fragmentation ?
Parce qu’on pense déjà à la manifestation de l’année prochaine. Mais on refile le 22 janvier la patate chaude à qui veut poursuivre le combat !
10. La manifestation s’inscrit-elle dans le mouvement altermondialiste ?
Non, l’hypothèse de travail du Rattachement de la Belgique au Congo n’est pas qu’un autre monde est possible. Il parie au contraire sur la ressemblance effrayante entre l’autre et le même. En tout cas, les altermondialsites que compte le Collectif ne s’en vantent pas.
11. La manifestation est-elle politiquement correcte ?
Non. N’est censuré que ce qui déborde le thème de la manifestation. À l’intérieur, tout est permis tant que rien n’est gratuit. Ce qui risque d’être mal compris, perçu, interprété, reçu, ressenti ou vécu, peut également être « bien tapé ! ». Il s’agit seulement de faire mouche, quand bien même certaines mouches peuvent agacer le crâne de ceux sur qui elles atterrissent. Pour plus de détails, je vous renvoie à la Charte du Collectif MANIFESTEMENT, sur www.manifestement.be.
12. La manifestation s’inscrit-elle dans le sillage du docu-fiction du 13 décembre 2006 de la RTBF?
Non. Cette géniale émission était une fiction et elle partait d’un aveu d’échec, du constat d’une faillite, d’une démission de l’imagination. Le Rattachement de la Belgique au Congo est au contraire la solution. Et une réalité qui progresse chaque jour davantage dans les esprits… Plus fondamentalement, le Rattachement prend le contre-pied du réflexe primitif d’autodéfense du séparatisme... S’en sortir en se perdant dans plus grand que soi : voilà la nouvelle spontanéité !
13. En quoi cette performance sous forme de manifestation – une œuvre d’art collective, en somme ! – n’est-elle pas une « vraie » manifestation ?
En rien. En catastrophe. En désespoir de causes perdues d’avance dans un énorme éclat de rire pour ne pas les oublier.
14. Comment peut-on aborder des sujets si graves avant tant de bonne humeur ?
La légèreté est une affaire trop sérieuse pour la cheviller au corps des dépressifs qui refusent de se faire traiter. Aux désœuvrés laissons la grossièreté de la gravité.
15. Pourquoi personne n’avait encore pensé à rattacher la Belgique au Congo ?
Demandez-le-vous !
16. C’est tout ?
Le reste est la cerise sur le cadeau de la manifestation, que l’on déguste au moment de la dislocation, lorsque, épuisés, aphones, incrédules, on se regarde le sourire aux lèvres en se demandant ce qui nous a pris…
17. Même s’il pleut ?
On compte, la veille au soir, rattacher également tous les nuages de Magritte à la région des Grands Lacs.