l

LETTRE YOUGOSLAVE

Cher noyau dur,
Je vous écris de la périphérie molle, de la mollesse périphérique où, avec certains camarades, je me trouve ce jour de fin et de commencements :).
En vous promettant d’ores et déjà une suite à cette lettre et le prolongement de certaines thèses opposées du débat, je vous envoie les premiers arguments en faveur d’une « manifestation sans titre », avant la réunion de 14h à laquelle, hélas, je ne pourrai participer étant donnée ma position centrale au sein de ma périphérie lointaine.
Sans oublier ce que Marx écrivit à Kugelmann à propos de la Belgique (1876) : « Vous devez savoir que la Belgique est le seul pays où le sabre et le fusil ont, régulièrement, d'un bout d'année à l'autre, le dernier mot dans chaque grève » (nous savons que les temps ont changé), défendre le principe d’une « manifestation sans (titre) » aujourd'hui, c'est précisément soutenir la capacité créatrice de résistance de tous. C’est aussi la thèse qui est soutenue dans le dernier paragraphe du texte ci-après. Soutenir la capacité émancipatoire de tous, sans grande espérance, c'est garder à l’esprit ce texte que Lénine écrivit, en 1905 déjà, sur les contradictions qu’une manifestation porte en soi: puisque rien ne s’obtient sans lutte, il faut être conscient des limites de la revendication pacifique. C’est là que réside toute la contradiction, c'est en cela que lutter pour un vide manifestant, c'est, contradictoirement, lutter pour la capacité de tous à manifester: si manifester n'est jamais suffisant, c'est au moins un commencement.
ps. Dans la Charte de MANIFESTEMENT, ceci est déjà subtilement souligné, la manifestation est toujours une coquille vide :

Une manifestation est un soulèvement insurrectionnel face à l’état présent du réel. Il prend la forme d’un rassemblement de personnes physiques, intempestives et joyeuses itinérant dans les rues d’une ville, à une date et une heure annoncées à l’avance, sous la bannière d’un unique mot d’ordre décliné de cent façons, le tout encadré par les forces de police en nombre suffisant pour contenir les débordements inespérés. Bref, une esthétique du cri orchestré dans les règles de l’art, qui est aux antipodes du folklore, des bons sentiments et de toute autre volonté d’apaisement. La manifestation répond en effet à une urgence mûrement, politiquement et vachement réfléchie. En résumé, la manifestation, au départ, n’a de révolutionnaire que le nom. Ce qui est un excellent départ.

De l'île de Vis
amicalement
Neime Reč

P.S. Lénine: Rapport sur la Révolution de 1905

Écrit en allemand avant le 22 (9) janvier 1917.
Publié pour la première fois le 22 janvier 1925, dans le n° 18 de la Pravda.
Signé: N. Lénine.
Conforme au manuscrit.
Œuvres, tome 23, Editions Sociales, Paris, Editions du Progrès, Moscou, 1974, p. 259‑277.
 


Jeunes amis et camarades,
Nous commémorons aujourd'hui le douzième anniversaire du "Dimanche sanglant", considéré à bon droit comme le début de la révolution russe.
Des milliers d'ouvriers, non pas des social-démocrates, mais des croyants, de fidèles sujets du tsar, conduits par le pope Gapone, s'acheminent de tous les points de la ville vers le centre de la capitale, vers la place du Palais d'Hiver, pour remettre une pétition au tsar. Les ouvriers marchent avec des icônes, et Gapone, leur chef du moment, avait écrit au tsar pour l'assurer qu'il se portait garant de sa sécurité personnelle et le prier de se présenter devant le peuple.
La troupe est alertée. Uhlans et cosaques chargent la foule à l'arme blanche; ils tirent sur les ouvriers désarmés qui supplient à genoux les cosaques de leur permettre d'approcher le tsar. D'après les rapports de police, il y eut ce jour-là plus d'un millier de morts et plus de deux mille blessés. L'indignation des ouvriers fut indescriptible.
Tel est, dans ses grandes lignes, le tableau du 22 janvier 1905, du "Dimanche sanglant".
Afin de mieux faire ressortir la portée historique de cet événement, je citerai quelques passages de la pétition des ouvriers. Elle commence par ces mots:
"Nous, ouvriers, habitants de Pétersbourg, nous venons à Toi. Nous sommes des esclaves misérables, humiliés; nous sommes accablés sous le despotisme et l'arbitraire. Notre patience étant à bout, nous avons cessé le travail et prié nos maîtres de nous donner au moins ce sans quoi la vie n'est qu'une torture. Mais cela nous a été refusé; selon les fabricants, cela n'est pas conforme à la loi. Nous sommes ici des milliers et, comme tout le peuple russe, nous sommes privés de tous droits humains. Tes fonctionnaires nous ont réduits à l'esclavage."
La pétition énumère les revendications suivantes: amnistie, libertés civiques, salaire normal, remise progressive de la terre au peuple, convocation d'une Assemblée constituante élue au suffrage universel et égal. Elle se termine par ces mots: "Sire! Ne refuse pas d'aider Ton peuple! Abats la muraille qui Te sépare de Ton peuple! Ordonne que satisfaction soit donnée à nos requêtes, fais-en le serment et Tu rendras la Russie heureuse; sinon, nous sommes prêts à mourir ici même. Nous n'avons que deux chemins: la liberté et le bonheur ou la tombe."

Ceci est la version imprimable de:
 http://321ignition.free.fr/pag/fr/lin/pag_002/Lenin_001.htm

Retour vers le haut de la page