Platon (-428 - -348)
philosophe grec
Extrait de La République (livre VIII, 561), hyper-traduction d'A.Badiou à paraitre fin 2010 :
« L'homme démocratique ne vit qu'au pur présent, ne faisant loi que du désir qui passe.
Aujourd'hui, il fait une grasse bonne bouffe arrosée, demain il n'en a que pour Bouddha, le jeûne ascétique, l'eau claire et le développement durable. Lundi, il va se remettre en forme en pédalant des heures sur un immobile vélo, mardi, il dort toute la journée, puis fume et ripaille. Mercredi, il déclare qu'il va lire de la philosophie, mais finit pas préférer ne rien faire. Jeudi, il s'enflamme au déjeuner pour la politique, bondit de fureur contre l'opinion de son voisin et dénonce avec le même enthousiasme furieux la société de consommation et la société du spectacle. Le soir, il va voir au cinéma un gros navet médiéval et guerrier. Il revient se coucher en rêvant qu'il s'engage dans la libération armée des peuples asservis. Le lendemain, il part au travail avec la gueule de bois, et tente vainement de séduire la secrétaire du bureau voisin. C'est juré, il va se lancer dans les affaires! A lui, les profits immobiliers! Mais c'est le week-end, c'est la crise, on verra tout ça la semaine prochaine. Voilà une vie, en tous cas! Ni ordre, ni idée, mais on peut la dire agréable, heureuse, et surtout aussi libre qu'insignifiante. Payer la liberté au prix de l'insignifiance, cela n'est pas cher. »
Idem, dans la traduction (plus classique!) de Georges Leroux :
« – N'est-ce pas en gros de cette manière, continuai-je, qu'un qu'un jeune
homme se transforme pour passer d'un régime où il a été élevé dans les
désirs nécessaires à un régime où il peut donner libre cours aux plaisirs
non nécessaires et inutiles et s'abandonner à eux?
– Manifestement, dit-il, c'est de cette manière.
– Par la suite, cette homme mène je pense une existence où il dépense
autant d'argent, d'effort et de temps pour les plaisirs nécessaires que
pour ceux qui ne le sont pas. Si par ailleurs il a de la chance, et si sa
frénésie bachique ne lui fait pas dépasser les bornes, mais que, avec la
maturité de l'âge, le gros de la turbulence s'étant apaisé, il laisse
revenir des groupes d'expulsés et qu'il ne s'abandonne pas entièrement
lui-même à ceux qui reviennent, alors il conduit sa vie en établissant une
sorte d'équilibre entre les plaisirs: il confie toujours le commandement
de son âme au plaisir qui surgit soudainement, comme s'il était soumis au
destin, jusqu'à ce qu'il en soit rassasié, puis il s'abandonne à un autre,
et cela sans en mépriser aucun, mais en les nourrissant de manière égale.
– C'est vrai
– Quant au discours vrai, repris-je, il ne lui fait pas bon accueil et ne
le laisse pas entrer dans la salle de garde. si on se risque à lui dire
que certains plaisirs découlent de désirs nobles et bons, alors quye
d'autres naissent de désirs mauvais, et qu'il faut cultiver et valoriser
les premiers, réprimer et dompter les seconds, dans toutes ces
circonstances il hoche la tête en signe de dédain. Pour lui, selon ce
qu'il prétend, ils sont tous pareils et doivent être considérés de valeur
égale.
– Certes, dit-il, dans la condition qui est la sienne, il ne peut faire
autrement.
– Dès lors, continuai-je, il passe ses journées à satisfaire sur cette
lancée le désir qui fait irruption: aujourd'hui il s'enivre au son des
flûtes, demain il se contente de boire de l'eau et se laisse maigrir; un
jour il s'entraîne au gymnase, le lendemain il est lascif et indifférent à
tout, et parfois on le voit même donner son temps à ce qu'il croit être la
philosophie. Souvent il s'engage dans la vie politique et, se levant sur
un coup de tête, il dit et fait ce que le hasard lui dicte. S'il lui
arrive d'envier les gens de guerre, le voilà qui s'y implique; s'agit-il
des commerçants, il se précipite dans les affaires. Sa vie ne répond à
aucun principe d'ordonnancement, à aucune nécessité; au contraire,
l'existence qu'il mène lui semble mériter le qualificatif d'agréable,
libre, bienheureuse, et il vit de cette manière en toute circonstance.
– Tu as remarquablement décrit, dit-il, la vie d'un homme égalitaire.
– Je crois aussi, dis-je, qu'il est multiforme et qu'il déborde d'une
multitude de caractères, lui qui est l'homme magnifique et bariolé, à
l'image de cette cité. Nombre d'hommes et de femmes envient cette sorte
d'existence, parce qu'elle contient une pléiade de modèles de
constitutions politiques et de modes de vie.
– Voilà notre homme en effet, dit-il.
– Eh bien, rangeons cet homme comme le contrepartie [562 a] de la
démocratie, c'est lui que nous aurons raison de désigner comme l'homme
décmocratique. »
D'où se déduit le slogan suivant :
Un démocrate qui se respecte
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