Compte-rendu
de la réunion d’information, de réflexions et d’échange du 16 juin 2009

avec les acteurs et associations du terrain de l’action sociale à Bruxelles
autour de la manifestation du 24 janvier 2010
organisée par le Collectif MANIFESTEMENT sur le thème :

Les SDF descendent dans la rue
pour exiger une baisse du prix de l’alcool !

Présents :
            Btissam Saïdi, Déborah Mottet (Entraide de Saint-Gilles, assistantes sociales)
            Murat Karacaoglu (Clos Sainte-Thérèse à Saint-Gilles, directeur)
            Loïc Géronnez (Periferia, présent à titre personnel, habitant du 123 rue Royale)
            Aline Duportail (Le Petit Portail) avec Léonie Reniers et Marie-Thérèse (SDF)
            Christophe Demey (SDF)
            Sabine Butoye (Les infirmiers de rue)
            Vanessa Crasset, Eric Demey, Laurent d’Ursel, Serge Goldwitch, Jean-François Jans,
                    Hélène Taquet, Marco Zagaglia (Collectif MANIFESTEMENT)
            Une équipe de télévision (RTBF)

Excusés :
          Patrick De Bucquois (Caritas Belgique), Aude Gijssels (Samu social),  Anne Herscovici  (La
            Strada), Yvonne Lhoest (Les Restos du coeur), Daniel Lhost & Roco Vitali (CPAS de Saint-
            Gilles), Muriel Mernier (Freeclinic), Claude Van der Elst (Les Samaritains), Esteban Vasquez
          (Petit Village), Sabine Wibaut (DUNE)

 

Préambule
           -)Le dialogue est a priori difficile, mais…
             L’approche psycho-sociale des associations du terrain de l’action sociale s’inscrit dans la durée et s’oppose à l’approche artistico-politique du Collectif MANIFESTEMENT, qui travaille à la création d’un événement ponctuel.
            Cependant, un point de rencontre et de synergie est peut-être possible autour de « la prise de parole des SDF », pierre angulaire du projet de manifestation.
            Mais il ne suffit pas de donner la parole aux SDF pour qu’ils la prennent, et l’« expertise » des acteurs et associations du terrain de l’action sociale est ici déterminante, au-delà de leur possibilité de relayer l’annonce de la manifestation à l’intérieur de leur structure.
            Par ailleurs, cette manifestation pourrait représenter pour les associations une occasion « rafraîchissante et stimulante » de sortir, une fois, de leur logique inévitablement institutionnelle. Elles ne pourraient sans doute jamais s’offrir le « luxe » d’organiser semblable manifestation, mais y prendre part de près ou de loin est peut-être une chance à saisir.

            -) On relève la présence non prévue par le Collectif d’une équipe de télévision de la RTBF. Après explication (un documentaire sur les Miss SDF belge 2010 de l’asbl Le Petit Portail) et vu la gêne causée à certains, il est d’abord convenu de suspendre la captation, puis de la limiter aux seules interventions pendant le débat des 2 Miss présentes.

            -) Merci au CPAS de Saint-Gilles d’accueillir la réunion, ce qui ne préjuge pas de l’adhésion ou non à ce stade du CPAS de Saint-Gilles au projet du Collectif.

Présentation du Collectif
            Depuis 2006, le Collectif MANIFESTEMENT met sur pied une manifestation annuelle à Bruxelles, sur un thème « écorchant », en accord avec sa Charte, et archive sur son site toutes ses réalisations.  Si l’on compte beaucoup d’artistes parmi les membres du Collectif, il ne s’agit nullement d’une condition sine qua non. Quiconque s’investit est membre de fait. Le Collectif a reçu depuis sa création diverses aides financières, mais ses membres sont tous bénévoles.

Présentation de la manifestation 2010
            Le projet est brièvement présenté, reprenant les grandes lignes du texte « Concept et argument » distribué au début de la réunion et consultable sur le site du Collectif.
            La question centrale posée par la manifestation est : « Faire l'objet d'aide sociale et être sujet politique, est-ce incompatible ? » Ou encore : « User de son droit à l’assistance diminue-t-il son droit à la parole ? »
            On insiste au passage sur le fait que le texte « Concept et argument » est très régulièrement enrichi, amendé, peaufiné, au fur et à mesure des réflexions, commentaires,  critiques et autres témoignages recueillis par le Collectif au cours de l’élaboration du projet.
            On rappelle d’ailleurs que toute contribution (textes, témoignages, images, films, etc.), pourvu qu’elle s’inscrive dans le cadre du thème de la manifestation, est bienvenue sur le site.

Présentation de l’affiche de la manifestation
            L'affiche montre bien que ce sont les SDF qui manifesteront le 24 janvier 2010 et que ceux qui viendraient pour les soutenir les applaudiront depuis le trottoir. Ce sont les SDF qui, au lieu d’y habiter, « occupent » cette fois la rue.
            Reprendre le symbole fort du dandy de Johnny Walker permet de subvertir radicalement « l’image de marque » poncive et éculée du SDF jamais « propre sur lui ». Et la question de l’image est  toujours tactique et politique. Comme l’est la prise de parole des SDF sur la voie publique. Bousculer une image, c’est déjà ébranler du réel. Léonie insiste : « Montrer que nous sommes des gens comme tout le monde ! »

Le débat s’engage d’emblée… sur l’alcool
            La question la plus pressante : « Mais pourquoi la problématique de l’alcool ? »
            La réponse la plus cinglante : « Parce qu’elle fait mal… Parce que la douleur est un symptôme qui ne trompe pas… Parce que le Collectif veut problématiser les représentations spontanées, de bousculer les schémas de pensée tout faits, d’infléchir les réflexes mentaux conditionnés. »
            La problématique de l'alcool a été choisie parce qu'elle est éminemment délicate, voire taboue, et qu’elle est indissociable de la situation des SDF.
            Serge Goldwicht : « La manifestation retourne le stéréotype comme une chaussette en le poussant jusqu'au bout ». Rien de tel, pour inverser la perspective, que de la prendre au pied de la lettre.
            Cela dit, le Collectif le répète avec force, tous les SDF n’ont pas de problème d’alcool.
            Mais est-ce toujours un problème ? Léonie pose en tout cas la question. « L'alcool sert surtout à oublier son mal, à se sentir moins seul, à se sentir mieux. Une bière, c’est un ami. Ce qui est choquant, en revanche, c'est l'interdiction légale de boire dans la rue. »
            Et l’on relève que l’état d’ébriété sur la voie publique n’est pas sanctionné de la même manière quand il s’agit d’étudiants, de jeunes cadres dynamiques ou de fêtards du samedi soir. Léonie se prononce clairement pour une dépénalisation de l’état d’ébriété sur la voie publique. Et tout le monde est d’accord pour dire que la manifestation choquerait moins si la demande de baisse du prix de l’alcool émanait de non-SDF. Or, être au plus bas de la misère matérielle n’empêche pas de se positionner comme acteur politique se battant pour la défense de ses propres intérêts.
            Mais en quoi une baisse du prix de l’alcool est-elle dans l’intérêt des SDF ? Au-delà des réponses économiques  évidentes, le Collectif veut interroger la place d’où parle un non-SDF pour décréter que là n’est pas l’intérêt des SDF. Peut-on avancer cet avis sans confisquer dans le même mouvement la parole des SDF ?
            Pour Btissam Saïdi, de l'Entraide de Saint-Gilles, si l’alcool peut parfois représenter un refuge, manifester pour une baisse du prix de l’alcool ne va certainement pas « aider les gens à s'en sortir et risquerait même de renforcer leur assuétude ».
            Christophe Demey, SDF ayant vécu à la rue, invite à tenter l'expérience de la vie à la rue avant de se positionner.
            Laurent d’Ursel se confesse : « Donner de l’argent à quelqu’un de sérieusement émêché tout en sachant qu’il va boire aussitôt cet argent, voire le vomir, est physiquement presque impossible… mais de quel droit lui demander : ‘Qu’allez-vous faire de cet argent ?’ » Le sous-titre de la manifestation est : « Peut-on secourir sans redresser ? » 
            Le Collectif rappelle que l’objectif poursuivi est moins d’obtenir une baisse réelle du prix de l’alcool que de provoquer un court-circuit dans les consciences et les représentations, d’agrandir le champ des expressions possibles, de créer un « moment effervescent » de « prise de pouvoir ensemble», qui marque les esprits, donne des idées, réveille des énergies.
            La liberté se cache parfois où on l’attend le moins.           

« Ce n’est pas les espaces de parole qui manquent ! »
            Le danger de « formatage » (des esprits, des corps, des consciences…) est inhérente au fonctionnement de toute institution et le secteur de l’aide sociale n’échappe pas à la règle. La chose est  connue et reconnue depuis longtemps par tous les acteurs du secteur, qui s’efforcent d’éviter les plus évidents « dérapages ».
            À cet égard, Murat Karacaoglu, du Clos Sainte-Thérèse, s’inscrit en faux contre le texte « Concept et argument » quand celui-ci assimile trop, selon lui, association d’aide aux SDF et confiscation de la parole des SDF. Même si beaucoup reste à faire, les choses bougent dans le secteur. Ainsi se multiplient des « espaces de parole », parfois financés par la Région et réservés aux personnes de la rue. Et cela a eu des répercussions au niveau politique, et sur la création  et le fonctionnement de certaines instances.
            Le Collectif est disposé à revoir sa copie sur ce point, mais insiste surtout sur le fait qu’il veut seulement pousser plus loin cette fantastique (r)évolution dans le secteur de l’aide sociale, en tentant de ne pas confiner cette parole dans un espace privé qui lui est réservé d’avance et qui, par là, la disqualifie, mais en l’ouvrant, en l’exposant à cet espace vraiment public, autrement « risqué » et d’emblée politique qu’est la rue… que les SDF habitent si silencieusement… et discrètement…

« Je suis visible, donc je suis ! » ou : SDF et associations, même combat ?
            L’ « invisibilité » des SDF, que l’on voit sans regarder parce qu’on préfère ne pas les voir, est bien sûr au cœur du projet de la manifestation, où il s’agit de s’approprier l’espace public et, par là, d’« exister pour ce qu’on est » (Léonie) et non pour  l’aide dont on a « aussi » besoin par ailleurs. Il est exceptionnel que des gens dans le besoin poussent un cri qui ne soit pas un appel à l’aide.
            Ce n’est pas le moindre des paradoxes que cette question de la visibilité soit aussi, à en croire Murat Karacaoglu, un combat que mènent nombre d’associations d’aide sociale en mal de reconnaissance, d’existence juridique claire et de statut officiel.
            Le Collectif voit bien sûr là bien plus qu’une simple coïncidence, mais un état de fait porteur de prometteuses synergies.

Une première piste de collaborations
            Loïc Géronnez présente le réseau « Capacitation citoyenne » dont l’asbl Periferia fait partie et qui organise une journée de rencontre à Recyclart, le 23 juin 2009. Le projet travaille sur la question de l'apparition dans l'espace public, comment prendre collectivement possession de l'espace public et aussi porter des revendications politiques pour que la différence ne devienne pas une source d’inégalités. Des connexions sont évoquées, notamment avec les Espaces de parole gérés par La Strada.
            Le Collectif répond favorablement à l’invitation qui lui est faite de prendre part à la journée de rencontre du 23 juin.

Concrètement, ce que le Collectif propose aux associations
            Même si le Collectif ira directement à la rencontre des SDF, les associations du terrain de l’aide sociale sont bien sûr mieux placées pour efficacement relayer l’annonce de la manifestation auprès des SDF, voire « mobiliser les troupes ».
            Plus précisément, il est demandé aux associations de préciser dans quelle mesure elles sont disposées à :
           -) informer le Collectif de toute personne ou organisation susceptible de prendre part, même de loin, à l’organisation de la manifestation ;
           -) relayer l’information concernant la manifestation auprès de leur public et de leurs contacts ;
           -) permettre au Collectif de présenter le projet de manifestation au sein de leurs « espaces de parole » ou toute autre lieu de rencontre ;
           -) permettre au Collectif de coller son affiche dans leurs locaux et d’y laisser en dépôt ses flyers (multilingues) appelant les SDF à la manifestation ;
           -) participer avec le Collectif à la préparation de la manifestation, à la réflexion sur le projet, et / ou à l’enrichissement du site du Collectif (par exemple en alimentant l’espace qui y est prévu pour les réactions (positives ou non) des SDF au projet).

            Les associations répondant favorablement à l’une et / ou l’autre de ces formes de collaboration deviendraient « partenaires » du Collectif MANIFESTEMENT, et un lien vers leur site serait fait sur le site du Collectif.

Conclusion : « Même si le prix de l'alcool ne baisse pas, on aura fait un pas ! »
            On rappelle qu’une manifestation peut aussi être une fête, et Léonie abonde dans ce sens : « C’est une reconnaissance comme personne à part entière, et ça donne de la joie ». Mais être « comme tout le monde » n’est pas simple : il faut remplir de nombreuses conditions !
            On précise que l’appel à manifester n’est pas lancé qu’aux SDF (et, par ricochet, aux organismes) bruxellois.
            On oublie d’annoncer qu’un dossier sera introduit auprès des autorités compétentes pour que la manifestation obtienne la labellisation « Année européenne de lutte contre la pauvreté et l’exclusion ».

 

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