« Pourquoi on a fait ça ? »

« Y a trop d'artistes ! » est un constat partagé par beaucoup, à l'intérieur comme à l'extérieur du milieu artistique, et il n'est pas étranger à la nature de l'art tel qu'il se pratique aujourd'hui, tant politiquement que socialement, notamment du fait de l'interventionnisme étatique galopant.Mais ce constat est le plus souvent proféré sous le manteau, l'effet de l'alcool ou le couvert de l'anonymat. En effet, résolument controversé, il ne peut, par la force des choses énoncées, faire l'unanimité. Il a en revanche le mérite d'ouvrir un débat, où la forme (une manifestation d'artistes) importe autant que le fond (l'exclamation : « Y a trop d'artistes ! »).Pour ne prêter le flanc à aucune récupération, surtout « bien intentionnée », pour ne donner lieu qu'à des malentendus passionnants, des contradictions insurmontables, des paradoxes prometteurs, une incompréhension poétique, bref, pour n'être suspecte de rien d'autre qu'elle-même, la profération du constat se devait d'émaner officiellement d'artistes déclarés ou prétendus tels. Mais « tout le monde est artiste » de nos jours...

Brandir le constat jusque dans la rue, avec force banderoles et cris de ralliement, expose, en outre, à des plaisirs rares et variés, lesquels soulèvent autant de questions délicates, voire enthousiasmantes :

- prendre à rebrousse-poil l'époque des replis identitaires et corporatistes, qui n'épargne pas les artistes
- lancer un pavé dans la mare démocratique, bien-pensante et radoteuse, en problématisant l'égalitarisme de rigueur
- faire de la manifestation un (nouveau ?) genre de pratique artistique
- s'essayer aux slogans, comme genre littéraire
- prendre de vitesse la nouvelle norme du politiquement incorrect
- découvrir que le « Trop d'artistes ! » est une exclamation ancienne et, qui plus est, inhérente à la démocratie
- aborder la problématique du « trop » en général aujourd'hui, comme forme d'« obésité » occidentale, à travers le prisme de l'art
- tenter un pur « dire », c'est-à-dire lancer un cri qui ne soit pas en même temps un programme
- poser une question politique insoluble, c'est-à-dire pour laquelle il n'y a de réponse que poétique, absurde et joyeuse, en un mot : féroce
- pousser le désintéressement irresponsable jusqu'à se « dénoncer » soi-même
- pousser le cynisme jusqu'à menacer de déposer la marque « Y a trop d'artistes ! » ®
- se retrouver entre artistes sur une base 100% rafraîchissante garantie
- réfléchir à tout ce qui précède
- l'avoir fait dans la bonne humeur
- le répéter ailleurs… juste pour montrer que le grand art n'a pas attendu le grand capital pour jouir au mot de délocalisation...

 

Retour vers le haut de la page