Chaque homme est un artiste. C'est même là ma contribution à "l'histoire de l'art".
Joseph Beuys

 

« Trop d’artistes ?
Ça va pas la t
Ête ? » 

-  un dialogue postiche  -



Sans rire, alors qu’on réclame plus de subsides pour la culture, manifester contre la soi-disant surabondance des artistes ne me paraît pas judicieux.
« trop d’artistes ! » et « pas assez de subsides ! » ne sont pas contradictoires. Mais ne mélangeons pas toutes les questions.
Sérieusement, vous estimez qu’il y a trop d’artistes ? Sommes-nous vraiment de trop ?
D’abord, une manifestation qui réclame moins de quelque chose plutôt que plus, c’est rafraîchissant. Si, de surcroît, c’est des artistes qui défilent en nombre pour dire qu’ils sont trop nombreux, ça devient franchement farfelu. Tendance maso débridée. On va bien rigoler... J’espère !
Mais pourquoi les artistes et pas... les plombiers par exemple ?
Les artistes ne sont pas encore des plombiers, mais ils sont en bonne voie : si la question du « statut de l’artiste » se pose, c’est qu’être artiste tend à devenir une profession parmi d’autres. Or l’art n’a jamais été une activité comme une autre.
Ça sent un peu la nostalgie élitiste, votre histoire...
Ah oui ? Chacun son odorat… Et puis, rejeter une idée pour son odeur... C’est subjectif, une odeur...
D’accord. Discutons plus loin que le bout de notre nez : que l’art se démocratise n’est pas réjouissant ?
Je relève juste un paradoxe. Si tout le monde fait de l’art, celui-ci change de nature. Si on consulte tout le monde sur tout, c’en est fini de la politique. Si tout le monde va à l’université, c’est la pagaille assurée. Bref, si tous les louables idéaux d’émancipation indiquent la direction à prendre, il y a des effets pervers, ou à tout le moins inattendus, si on s’en rapproche « trop ».
On est loin du compte, rassurez-vous ! Les artistes restent clairement des privilégiés.
Vous ne me le faites pas dire !
Mais alors il faudrait plutôt dénoncer le fait qu’il n’y a pas encore assez d’artistes !
Pourquoi pas ? Ce serait une autre manifestation… sachant qu’on risque fort, en disant qu’on est trop peu nombreux, de sombrer dans la pire démagogie racoleuse, sur le thème « Tout le monde il est beau, tout le monde il est artiste ».
Certes, mais en disant qu’on est trop nombreux, on suggère qu’une sélection des artistes s’impose. Et qui pourrait en définir les critères ? C’est prêter le flanc à toutes les dérives !
Deux commentaires. Qu’une action ait toutes les chances d’être interprétée de travers ne préjuge pas de son intérêt. La manif est une performance et l’art n’est pas de la pub. Deuxièmement, le vrai coup de force, au contraire, serait d’arriver à suggérer qu’une sélection, quelle qu’elle soit, n’entamerait en rien le trop.
Mais c’est quoi, le trop ?
À l’ère libérale qui nous gâte les neurones, le trop se définit toujours par un excès de l’offre sur la demande. Mais ce n’est évidemment pas ce...
Ah, je vois ! La manif, c’est pour soutenir les prix. Trop d’artistes, ça nous casse le marché !
On n’observe aucune baisse des prix, preuve que le « trop d’artistes » ne vise pas un excès de l’offre.
Un excès de quoi, alors ?
D’artistes.
Je ne comprends plus.
Bienvenue au club. Le fond de la difficulté, je crois, est de penser un pur « trop », un trop qui ne définisse pas simultanément un programme d’écrémage... Je réfléchis tout haut...
Ça s’entend !
Une idée sous-jacente peut-être à tout cela : on passerait aujourd’hui de la fameuse « société de consommation » à la société de production, ou de surproduction. Ce ne serait plus consommer qui serait « problématique », ou « discutable », qui nous rendrait « complice » du système, mais produire… La « contestation » du système passerait par produire moins, ou en tout cas autrement...
Allusion à la surproduction artistique qui tombe dans le vide ?
Ce vide n’est pas plus criant qu’avant... Non, de nouveau, produire moins ne répond pas à une faiblesse de la demande... Je me répète, le « trop » est à considérer indépendamment de tout « marché »,  de l’art en l’occurrence… Le « trop » invite plutôt à repenser le concept de « pollution », en dépassant le point de vue strictement écologique. Surproduction rime moins avec dégâts environnementaux qu’avec saturation !
OK, va pour votre « société de surproduction ». Mais il y a dans ce cas trop de tout, pas seulement d’artistes !
Commençons par balayer devant notre porte.
Je commence : la manif-performance n’est-elle pas une production artistique de plus ?
À fond !
Vous naviguez donc en pleine contradiction !
C’est plutôt bon signe, non ? Enfin une manif qui pose plus de questions qu’elle n’assène des certitudes !... Enfin une manif qui ne revendique rien... sinon le droit de se mordre la queue !
Ouais... Une conclusion pour la route ? J’ai un robinet qui fuit.
Ce ne sont pas les artistes qui sont en cause. Ce qui a changé, c’est que le système produit des artistes, ne se borne plus à s’en accommoder. Il les instrumentalise aussi, n’essaie plus de les récupérer par la bande.
Il est plutôt de bon ton de dire que le système produit des exclus !
L’un n’empêche pas l’autre.
Ça se discute.
C’est ce qu’on est en train de faire… Une bonne manif, c’est discuter avant et s’éclater pendant.
Et après ?
Après, c’est plus comme avant !
Très profond... Dites-moi, vous ne connaîtriez pas un bon plombier ?
Mon voisin. Un type super. Travail soigné, précis, minutieux. Un vrai artiste !

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